Yeri Bérénice Ouédraogo

Yeri Bérénice Ouédraogo
J’ai été adoptée à l’âge de cinq ans et demi. Je suis arrivée en France en 1997 avec mon cousin Germain. Nous avons été adoptés par un couple habitant les Vosges. C’est à l’âge de 18 ans que je me suis sentie attirée par les arts. Je souhaitais gagner de l’argent alors ma mère adoptive m’a parlé de cours du soir d’arts plastiques (auxquels elle avait fait partie) afin d’être le modèle. Je posais donc nue pour ces cours. J’ai bien évidemment été au début un peu pudique et je me posais de nombreuses questions lors des cours : que pensent-ils de moi, de mon corps. Est-ce qu’il y a des regards malsains ? J’étais tout de même nue devant 20 personnes inconnues … c’était juste une question de confiance. Je me suis familiarisée avec chaque personne, chaque regard pour y voir que de la bienveillance. J’aimais ensuite me laisser déambuler dans la salle pour y voir leurs dessins, avoir leur vision de mon corps, je me suis vue remise quelques créations dont j’étais fière d’exposer chez moi. J’étais leur seul et premier modèle de couleur de surplus avec cette typologie morphologique si intéressante à dessiner. C’étaient souvent les mêmes qui venaient aux cours, de là, j’ai rencontré le premier photographe avec qui j’ai pu travailler quelques années et qui est devenu un ami. Tout cela m’a permis d’accepter mon corps, sa transformation et de m’accepter en tant que femme de couleur aussi. J’aime cette mise à nue du nu, je suis moi sans artifice, sans distinction sociale. Nous devrions être plus pudiques de nos apparats que de notre peau
En ce qui concernent mes modèles de cinéma, théâtre, je me souviens d’avoir beaucoup aimé Daniel Auteuil, je l’avais vu dans Romuald et Juliette et “le huitième jour”. J’en étais amoureuse comme une jeune fille découvrant la vie. En tout cas ces deux films m’ont énormément touchés par leur humanité et ils évoquaient des faits de société. Aujourd’hui, je pourrais vous évoquer de nombreuses actrices françaises telles qu’Isabelle Huppert, Isabelle Carrée-j’aime les Isabelle-Marina Foïs, Karine Viard, Valeria Bruni Tedeschi (mon coup de cœur)… ce style d’actrice. On pourrait dire “des vieux de la vielle” sans être péjoratif. Ce sont des références, des exemples. Pour les hommes, je pense à Albert Dupontel, Fabrice Luchini, Edouard Baer.

Yeri Bérénice Ouédraogo
-Je ne suis passée par aucune école. J’ai commencé à faire du théâtre en primaire, j’aimais beaucoup, me travestir et devenir l’autre. Je voulais intégrer une troupe mais j’ai eu un refus par mes parents adoptifs. J’ai attendu le lycée pour prendre l’option théâtre. Malheureusement, je me suis dégonflée pour passer en fin de cursus et n’ai pas passé mon bac théâtre. Je ne me sentais pas à la hauteur, manque de confiance d’une ado. J’ai attendu deux ans avant de m’inscrire aux cours de théâtre dans l’MJC de ma ville puis ai intégré des cours d’improvisation. En venant à Paris, je me suis énormément posée de questions, je ne connaissais pas bien les écoles et n’ai su comment m’organiser avec toutes ces choix. J’ai opté pour l’option au petit bonheur la chance. De là j’ai fait un stage de trois semaines en y ressortant très déçue, une formation qui ne me correspondait pas, moi la jeune artiste novice qui était entourée de professionnels, je me suis flagellée en me comparant à leur talent et je ne me sentais pas à ma place. Je suis consciente qu’on ne devient pas actrice sans formation. Après ce confinement je prendrai d’autres mesures. J’y réfléchi d’ailleurs. Pour mon autre profil : modèle, aucune formation, ce sont les relations et la visibilité que l’on se donne qui jouent

Yeri Bérénice Ouédraogo

-La célébrité ? Regardez cette société dans laquelle on vit ! C’est le mot à la mode. Se faire remarquer, devenir populaire, influent, célèbre. Je vous mentirais si je vous disais que je ne souhaite pas cette célébrité. Ma raison me parle : “Je voudrais me satisfaire avant toute chose.” Je veux toujours plus que ce que je n’ai. Cela montre une certaine ambition. Plus jeune, j’ai rêvé d’être actrice et d’être connue, je ne vous cache pas que j’en rêve encore. Mais je remarque que ma volonté est la reconnaissance. Je veux faire un métier de passion mais aussi un métier de corps, d’images. Je me pose souvent la question de cette célébrité, quelle est sa place réelle lorsqu’on se lève tous les jours en se disant qu’on fait un métier qu’on aime. La célébrité est la cerise sur le gâteau. Il y a de très bons artistes qui ne seront jamais célèbres car malheureusement leur karma ne leur a pas permis cela, ils n’auront pas fait LA bonne rencontre, n’auront pas pu saisir LE bon moment. La société a un très grand rôle, il est question d’offre et de demande. La société elle est sans cesse en demande de divertissements et parfois pas des plus réfléchis. Nous autres artistes ? par notre force de proposition répondons à cette demande. Suivant l’atmosphère, l’évolution, le contexte social, économique,  la société choisit des représentants. Tout cela pour vous dire que ce n’est pas toujours le talent qui prime. La célébrité est accessible à tout un chacun aujourd’hui. Donc le jour où je paierai mes factures avec mon travail artistique, ce sera déjà une grande fierté… la célébrité viendra si elle doit m’être accordée.

-Je vous réponds en vivant comme vous cette situation totalement inédite. Donc actuellement, tout est à l’arrêt avec ses conséquences et nous ne savons de ce qu’adviendront les arts. J’espère juste une valorisation des artistes qui se retrouvent sans cesse dans cette incertitude. Pourtant l’art a battit des peuples et donne de la valeur ajoutée à un pays. En France nous avons une richesse culturelle alors j’espère qu’elle ne sera pas davantage remise en cause par les faits actuels. Sans culture, c’est la population qui meurt !

-Je n’ai pas fait beaucoup de projets. Je suis très fière d’avoir travaillé avec un compositeur au nom de Jacopo Baboni Schilingi pour un body score photographié exposé chez Chanel à Tokyo. Cet artiste m’avait contacté via mon book (yeribebereniceouedraogo.book.fr) en m’exposant son projet. Bien évidemment, j’ai été conquise par un tel sujet, du nu artistique, ce que je fais depuis mes dix-huit ans. Un projet plus concret que les autres avec une belle visibilité. Je me suis sentie dans mon élément, en phase avec ce que je cherche artistiquement. Par mon book parfois je reçois tout et n’importe quoi, alors je fais le tri. Je prime la qualité à la quantité. J’ai également fait un projet intitulé “Les Intruses” de Randa Maroufi une artiste qui a revisité l’espace public et plus précisément celui de Barbes. “Les Intruses cherche à susciter une prise de conscience sur l’occupation majoritairement masculine de certains milieux. Le temps d’une mise en scène, les rôles sont inversés. Bien que cette représentation aille à l’encontre des intentions égalitaires, cette proposition interroge le partage de l’espace public entre les genres.” ref site Réseau Art Actuel. Vous pouvez donc me voir sur les murs proche métro Barbes jusque fin août.

-Le futur me fait un peu peur pour le moment, je n’ai pas le statut intermittent, déjà la deuxième année que j’essaie de l’avoir sans succès. Parfois, j’ai envie de tout laisser tomber, me trouver un job lambda et m’ennuyer dans mon travail. Mais très vite je ne vois pas ce futur ! Je veux devenir une artiste à part entière, c’est mon essence de vie et je n’y peux rien changer. Je crois qu’on ne choisit pas toujours ce qu’on voudrait être et j’ai des moments de grosse remise en questions, dans lesquels je m’en veux de choisir ce chemin. Sans y voir de religion car je suis athée, je pense qu’il y a une force, une puissance qui dirige tout cela intérieurement. Il va donc falloir que je fasse preuve d’intelligence dans ma façon de travailler en saisissant les opportunités. je ne suis pas allée au bout de ce rêve, de cette vie. Ma devise : on a une existence et une multitude de vies. Donc on reste positif et on y croit à cette vie artistique.

Photos de Jacopo Baboni Schilingi http://baboni-schilingi.com/
Ludovic Sarmento
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Romain Milliotte
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