Rébecca Dereims

Rébecca Dereims
-Je n’aime pas particulièrement parler du passé, le présent m’intéresse bien plus. Le passé ne nous définit pas forcément même s’il influe sur nos choix et nos comportements. Mon passé n’est pas la seule chose qui me définisse et ce n’est pas à travers ou grâce à lui que je me reconnais. Et puis, le passé c’est vaste : lequel ? Comment j’ai vécu mon enfance, mon adolescence, les blessures affectives ? De quel point de vue ? 
J’ai été encouragée à évoluer dans un univers artistique en tout cas cela est certain, ma mère étant peintre et mon père comédien amateur. J’ai eu beaucoup de moments heureux mais j’ai aussi été très isolée socialement. Cela a peut-être joué sur mon désir de partage, d’être vue et de transmettre mes émotions.
L’art n’a jamais été associé au divertissement à mes yeux. L’art peut-être divertissant, heureusement, mais ce n’est pas un divertissement au sens où on l’entend aujourd’hui. C’est plutôt quelque chose de sérieux, voire de pesant parfois. Je ne saurais pas définir quand a débuté mon intérêt ni s’y j’en ai sciemment eu un : je crois avoir plutôt baigné dans un univers où j’ai cherché comment trouver ma place et à m’exprimer. D’une certaine façon, il y a quelque chose de subi. Ce qui n’enlève rien à mon amour de l’art.
Comme beaucoup d’enfants de ma génération j’ai été fascinée par de nombreux artistes. Mais je n’avais pas toujours accès à la télévision. Il y a bien sûr eu Depardieu, et Louis de Funès pour moi. Je ne retenais pas toujours les noms des autres. Vanessa Paradis m’a beaucoup inspirée adolescente ; je crois qu’elle incarnait une sorte d’idéal en tant que femme et artiste. Je crois aussi que je préférais la musique au cinéma ou au théâtre. J’aimais le jazz et les chanteurs de blues. C’est bien plus tard que j’ai trouvé mes modèles, et pas toujours parmis les gens connus. Isabelle Huppert reste évidemment un modèle inégalable dans la nature de son jeu et de son travail. Mais ce sont mes professeurs qui m’ont inspirée, et les artistes étrangers m’inspirent le plus que les acteurs français aujourd’hui. 
Je n’aime pas le mot étude. On n’étudie pas, on fait, apprend à travailler, à répéter, à s’entraîner avec des méthodes qui fournissent des outils que l’on adapte sans cesse. Pour moi, cela commence et s’arrête là. Je ne dis pas qu’il n’y ait de travail intellectuel à fournir, de nécessaire observation, qu’il n’y a pas d’étude possible, des textes ou des techniques bien-sûr. Mais ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas en passant un diplôme que l’on valide ce travail, même s’il en existe, ce n’est pas suffisant pour jouer. C’est un plus. J’ai un problème avec les mots qui concernent mon métier. On n’apprend pas à devenir un artiste, et qu’est-ce que cela veut dire d’ailleurs ? Je ne considère pas que je suis artiste, je considère que je suis un artisan à qui il arrive de faire de l’art. Et c’est le public qui en décide.  
-Atteindre une reconnaissance publique n’est jamais négligeable dans un métier où les doutes sont permanents. Il faut, de toutes manières, se faire connaître pour avoir du travail. Mais ce n’est pas par la célébrité que je pense à mon travail, et la célébrité comporte de nombreuses contraintes aussi. Il faut être lucide, c’est un mode de vie qui n’offre pas forcément plus de liberté. Ce qui est satisfaisant c’est de rencontrer des personnes avec lesquelles il y a une envie commune de créer, une vision à partager, un propos qui nous touche, et si cela permet une reconnaissance tant mieux. C’est du bonus.
-Oui, je pense que les choses n’évoluent qu’en surface quant aux rôles qu’on donne aux femmes. Il y a des politiques sur l’égalité, une vision plus large, mais la tendance est toujours à masculiniser les fonctions sociales au cinéma ou au théâtre à l’image de ce qui se vit inconsciemment dans la société. Il est également toujours plus difficile de se faire reconnaître pour son travail et son talent plus que par son physique lorsqu’on est une femme. Je veux dire sans passer par le prisme de la séduction. Cela bouge un peu, comme pour les rôles racisés, mais pour le moment je ne sens pas de changement général profond.
-Les maux viennent de ce mot : l’industrie. Il y a effectivement un marché de l’art, des arts et de la culture depuis quelques années, qui n’échappe désormais plus aux règles de ce marché. Auparavant, nous avions des politiques culturelles indépendantes (on parlait d’exception) pour un secteur qui ne pouvait pas être totalement marchandisé. Soumettre la création d’œuvres au marché c’est soumettre l’art à une autorité qui entre en totale contradiction avec la vocation intellectuelle et sociale de l’art. Cela dérive vers des productions élitistes et privées de réelle liberté. Il existe toutefois, et heureusement, des gens qui contournent ces règles d’une manière ou d’une autre pour continuer de créer librement de l’inédit. 
Rébecca Dereims
-Pour les nouveaux projets : tout dépend lesquels ! J’essaie d’abord d’en apprécier la qualité, objectivement et subjectivement. À dire vrai, c’est un luxe que je ne puis toujours me permettre, alors j’accepte parfois de faire des choses dont l’intérêt artistique reste limité à mes yeux. Mais heureusement pour moi, cela arrive rarement, et en général mon attitude est d’abord de chercher à analyser quels sont les endroits qui vont me permettre de me dépasser. Mon rôle est de porter une œuvre. De la sublimer et de l’incarner. C’est un défi constant d’un projet à un autre. Le doute est un moteur pour moi. Je cherche à analyser les différents facteurs qui composent l’œuvre, sa nature, sa construction narrative, son essence aussi, et à apporter ce que j’ai de meilleur tout en répondant aux exigences de la production et de la mise en scène. J’affûte “mes couteaux”, c’est-à-dire que j’inventorie les outils qui me seront utiles dans ma façon de l’aborder, et je les adapte.
-L’épidémie COVID-19 a malheureusement mis un frein à un projet qui me tient à cœur : un spectacle de théâtre immersif où j’interprète la Coco Chanel des années 30, celle qui était sur le point de devenir la grande Mademoiselle Chanel après avoir perdu celui qu’elle aimait. L’immersivité ne peut s’encombrer de gestes barrières ni de masques. Je crains de ne pas retrouver Coco avant un moment.
En parallèle je tourne autour de l’idée de me mettre à l’écriture, sans savoir encore si je souhaite explorer un format de série, de film ou de théâtre. Mais j’ai le temps propice pour cela. Pour le moment je suis devant le vide de la feuille blanche et je suis rongée d’appréhension. Mais je vais bien finir par me jeter à l’eau…

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